Le Prix Jeune Vague 2021 : Résonances matérielles et visions radicales
L'édition 2021 du Prix Jeune Vague a réaffirmé sa réputation comme l'une des plateformes les plus prospectives pour les artistes émergents internationaux. Célébrant celles et ceux qui repoussent les limites du matériau, de la perception et de la pensée conceptuelle, les lauréat·es de cette année marquent un tournant vers la tactilité, la fracture et la poétique du refus. Entre installation, peinture et enquête sculpturale, les artistes sélectionnés reflètent non seulement des multiplicités régionales, mais un engagement commun à déstabiliser les catégories normatives de la forme, de l'identité et de la résolution esthétique.
Les œuvres des finalistes ont été réunies dans l'exposition collective au POCTB (5 rue des Grands Champs, Orléans, France), présentée du 21 novembre au 12 décembre 2021. Installée dans les volumes bruts de l'espace industriel orléanais, l'exposition soulignait la cohérence thématique entre les lauréat·es : une volonté commune de dérégler la matière, de densifier le concept, et de ralentir les esthétiques de la résistance.
Dans la catégorie 3D, le Premier Prix a été décerné à Anna Viktorova (Royaume-Uni / Russie) pour son installation radicale La propagation des fissures, initialement présentée à la Galerie Cinéma à Lyon. La pratique de Viktorova dépasse le champ de la céramique comme médium pour entrer dans un espace post-matériel où le feu, la cendre et la fracture deviennent des outils de connaissance. Ses vases cuits selon la méthode raku, partiellement effondrés par la combustion, ne sont pas des métaphores de brisure : ce sont des restes chimiques d'événements thermiques — des vases qui pensent par la rupture. Installée sans affect, ni réparation, La propagation des fissures interroge les limites du contenant en utilisant des résidus carbonisés issus d'archives personnelles et de déchets post-industriels pour rendre le chagrin palpable. L'œuvre refuse la conservation et revendique au contraire l'oxydation, l'effondrement et la décomposition comme forces temporelles. Le jury a salué sa « rigueur conceptuelle et sa reconfiguration radicale du temps matériel ».
Le Deuxième Prix en 3D a été attribué à Samir Tawil (Maroc), dont les assemblages modulaires en béton revisitent le langage brutaliste pour en faire des topographies intimes. Sa série Ghost Infrastructure saisit le résiduel psychologique d'utopies avortées : lotissements figés en monolithes, villes suspendues dans une inertie spéculative. En incrustant éclats de verre, cuivre oxydé et sable teinté dans le béton coulé, Tawil transforme le langage du développement en lexique de l'érosion. Les œuvres sont tactiles mais hantées — l'architecture comme promesse déçue, rendue à l'échelle humaine, tendre.
Le Troisième Prix a été remis à Hedi Rebane (Estonie), dont les objets cinétiques brouillent la frontière entre sculpture et automate. Conçue à partir d'équipements de pêche baltiques recyclés et d'aluminium forgé à la main, sa série Breath Indexenregistre les plus légers phénomènes atmosphériques — souffle, vent, température ambiante — par un mouvement sculptural lent. Le jury a salué son « ingénierie intuitive de la fragilité », décrivant l'œuvre comme « silencieusement politique par sa sensibilité au changement ».
Dans la catégorie 2D, le Premier Prix a été décerné à Zhou Tsai (Chine), dont les dessins superposés à la mine de plomb et à la cire prolongent la tradition de la peinture à l'encre dans des zones d'opacité chimique. Sa série Dust Interferenceréinvente les canons du paysage chinois classique comme des champs partiellement effacés — embrumés, pixélisés, instables. Chez Tsai, le trait est plus méticuleux que lyrique, chaque panneau étant une négociation entre geste et toxicité environnementale. Par couches de suie, d'huile et de cire de résistance, il produit des surfaces scintillantes de mémoire enfouie. Les dessins ne sont pas des paysages, mais des symptômes.
Le Deuxième Prix en 2D a été attribué à Catherine Densford (Royaume-Uni), dont les pièces murales textiles reconfigurent l'abstraction féministe à travers le labeur post-domestique. Dans sa série Discharge, Densford décolore des draps de lit de seconde main, puis les retravaille avec broderie, teinture à la cendre et feuilles d'or — produisant des compositions fantomatiques et sourdes, oscillant entre plaie et ornement. Son processus rend visible l'invisible : les traces du sommeil, du soin, de l'épuisement. En affinité critique avec l'écriture féminine, ses œuvres sont douces mais implacables, saluées par le jury pour leur « intelligence émotionnelle traduite en syntaxe matérielle ».
Ensemble, les lauréat·es du Prix Jeune Vague 2021 forment une constellation essentielle de voix montantes — des artistes qui n'ont pas peur d'explorer l'érosion, la mémoire, l'instabilité et le refus. Qu'ils fassent s'effondrer l'argile, qu'ils versent le doute dans le béton ou qu'ils brodent le linge en surface mnémotechnique, chacun·e propose une remise en question rigoureuse de la manière dont matière et sens sont configurés aujourd'hui. Ces artistes ne se contentent pas de façonner l'avenir de l'art contemporain — ils en interrogent la condition même : faire, rompre, et persister.